Le directeur musical du National Symphony Orchestra de Washington que dirigea en son temps Mstislav Rostropovitch, et chef invité du London Symphony Orchestra, Gianandrea Noseda, nous propose une intégrale des symphonies de Beethoven enregistrées en public entre janvier 2022 et juin 2023. Au regard de ses interprétations remarquées et très bien construites de celles de Chostakovitch, cette intégrale de l’œuvre symphonique du génie de Bonn a évidemment piqué notre curiosité.
Et
il faut dire que le résultat est à la hauteur des attentes. Car il est
difficile de tirer son épingle du jeu de la multitude d’interprétations qui
conjuguent merveilles et fiascos. Ici, Noseda s’en tire très bien en proposant
une approche singulière de chaque symphonie qui correspond d’ailleurs à la
réalité d’un compositeur à l’humeur changeante et à celle d’époques
radicalement différentes. Pas d’idéologie donc. On ne joue ainsi pas l’héroïque
comme la pastorale, on ne traite pas les symphonies dites « féminines »
comme les « masculines ». Les féminines sont d’ailleurs approchées
avec beaucoup d’égards, presque de « courtoisie musicale » où le chef
déploie des trésors de romantisme pour séduire sa partition. Eh oui, on n’est
pas italien pour rien ! Dans la 8e symphonie, Noseda a
d’ailleurs choisi de rester classique, de la concevoir comme un hommage à
Haydn.
Les
7e et 5e symphonies sont plus viriles, le chef veut, à
raison d’ailleurs, en faire des héroïnes avec leurs énergies respectives qu’il
libère sans verser toutefois dans l’anarchie. Il les transforme en Spartiates
aux Thermopyles luttant contre la fatalité avec ses effets sonores parfaitement
maîtrisés et des entrées solides et réussies. Noseda délivre alors son Molon
labe, son « Viens les prendre » pour citer Leonidas face
aux Perses qui lui demandaient de déposer les armes dans le finale de la
cinquième, accompagné de percussions d’airain et de cuivres transformés en
bardes.
L’apothéose est atteinte avec la 9e symphonie, majestueuse comme enveloppée dans son hermine harmonique. On se croirait dans une cathédrale en plein couronnement avec un prodigieux Washington Chorus. Haendel était quelque part dans l’assistance. Il a versé quelques larmes. Il peut, le nouveau roi d’Italie vient d’entrer.
Par Laurent Pfaadt
Beethoven, complete symphonies, National Symphony Orchestra, The Kennedy Center, dir. Gianandrea Noseda Coffret 5 Cds, NSO Media label
Horace
Vernet était à l’honneur d’une importante rétrospective au château de
Versailles et d’une monographie passionnante
Nous
l’ignorons mais Horace Vernet est en permanence avec nous. Dans les musées.
Dans nos livres scolaires. Sur les couvertures de romans. Mais surtout dans nos
têtes, parfois même sans le savoir, sans que l’on connaisse son nom. Tous les
Français qu’ils soient de naissance, d’adoption ou de coeur ont grandi et
vivent avec ses tableaux devenus des images familières qui ont fait de nous des
citoyens.
Plus
qu’aucun autre peintre, Horace Vernet représenta l’histoire de France. Peintre
des batailles pour reprendre le titre d’un roman d’un célèbre écrivain
espagnol, il est celui de Fontenoy, de Bouvines, du pont d’Arcole, de Valmy, de
Iéna. Placé devant elles, le visiteur ne peut que s’émouvoir, se sentir, devant
ces grands formats, écrasé par le poids de l’histoire.
Né
en 1789, quinze jours avant la prise de la Bastille, comme un présage, Horace
Vernet trouva vite en Théodore Géricault un mentor dont il réalisa le portrait
et avec qui il partagea la passion des chevaux comme ceux, magnifiques de la
Chasse au lion au Sahara (1836) de la Wallace collection. Du cheval au
cavalier et au roi, il n’y eut qu’un pas ou un saut que Vernet effectua
allègrement. Et pour célébrer ce roi de la peinture historique, Versailles
convoqua, le temps d’une exposition, à la cour, nobles venus de provinces avec
leurs plus beaux présents picturaux, diplomates étrangers arrivés des
Etats-Unis, d’Allemagne, d’Italie ou de Lettonie et illustres inconnus avec ces
tableaux issus de collections particulières à l’instar de La mort du prince
Poniatowski à la bataille de Leipzig (1816). Tous ces visiteurs venant
rejoindre ces Princes du sang et de la peinture installés dans la galerie des
batailles.
La
parade picturale pouvait donc commencer avec ces tableaux qui se regardent en
cinémascope. Sur grand écran. Le spectateur est immédiatement happé et plongé
dans le décor. Il devient, consciemment ou à son insu, un personnage à part
entière de l’œuvre. Comme dans L’Enlèvement d’Angélique (1820) où il
semble impuissant à pouvoir empêcher le rapt.
La
scénographie versaillaise amène tout naturellement le visiteur vers les salles
d’Afrique aménagée par le roi Louis-Philippe pour célébrer les victoires de
l’armée française. Horace Vernet s’y déploie en majesté pour y célébrer cette
autre majesté, le duc d’Aumale, 4e fils de Louis-Philippe dont il
fut proche notamment dans la monumentale Prise de la smalah d’Abd-el-Kader
par le Duc d’Aumale à Taguin (1843-1845). Avant cela, la toile inachevée de
La prise de Tanger (1847) commandée par Louis-Philippe pour la salle du
Maroc permet d’appréhender la technique de l’artiste : peindre en coin ou
sur un côté. Comme une bataille qui se gagne par les flancs.
D’une
maîtrise assez impressionnante – on raconte qu’il était capable de réaliser un
portrait en une seule séance de pose, d’un seul jet de pinceau – Vernet allait
ainsi faire des merveilles en racontant l’histoire de France. Son portrait de
Laurent, Marquis de Gouvion-Saint-Cyr, maréchal de France (1764-1830) en1824 est emprunt d’un clair-obscur tout à fait remarquable avec ses reflets
sur les broderies de l’uniforme du militaire. Et qu’il s’agisse de ses tableaux
monumentaux ou de petits formats, Horace Vernet reste fascinant dans le soin
apporté aux détails. Chaque visage de la multitude de soldats de ses batailles
titanesques apparaît différent, avec, à chaque fois, une expression unique.
Ce
souci du détail se combine à une peinture vivante, toujours en mouvement. Les
épaulettes brillantes du militaire dans le Siège de Saragosse (1819)
semble sortir de la toile. L’habit blanc du combattant à cheval dans Le
combat de la forêt de l’Habra, le 3 décembre 1835 (1840) semble virevolter
dans les airs.
C’est
ce qui a permis une immédiate identification avec l’histoire de France, cette
façon qu’il a eu de la rendre vivante et le permettre à tous de se
l’approprier. « Pour Vernet, le récit était essentiel : tout était
sujet à tableau » estime Valérie Bajou, conservatrice générale au
musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans le magnifique
catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de monographie de
référence. Margot Renard, post-doctorante en histoire de l’art à l’université
de Gand, explique d’ailleurs cette alchimie par la rencontre d’un peintre et de
son époque allant même jusqu’à dire au sujet de son rapport à Napoléon que
« le rôle de Vernet dans l’élaboration de la postérité napoléonienne
est majeur, au point de pouvoir l’envisager comme le créateur de Napoléon
Bonaparte ». Louis-Philippe dont Horace Vernet fut proche, demeura
l’artisan politique de la réhabilitation et de l’intégration de l’empereur et
l’Empire au récit national avec notamment le retour des cendres de Napoléon en
1840. Les tableaux des batailles de Iéna, de Friedland, de Wagram peintes en
1836 et son célèbre Napoléon sur son lit de mort (1826) participèrent
également de cette réhabilitation.
Cette proximité du pouvoir lui permit d’accéder à des fonctions importantes : colonel de la garde nationale, il combattit les insurgés de 1848 pour défendre son roi. Directeur de l’académie française à Rome, il fut ensuite élu à l’académie des beaux-arts, le 24 juin 1876, devenant ainsi immortel et entrant définitivement dans nos récits nationaux.
Par Laurent Pfaadt
Horace Vernet (1789-1863), sous la direction de Valérie Bajou, château de Versailles/éditions Faton, 448 p.
Une
très belle exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme complétée d’un
livre de photos nous font revivre l’atmosphère unique et à jamais perdue de la
cité grecque
Il
est des villes qui portent en elles la promesse d’un voyage, d’un fantasme. Des
villes-monde. Odessa, Trieste, Salonique. Cité à la croisée des chemins entre
Mitteleuropa et Méditerranée, elle a vu naître les grands saints de l’Église
slave, Cyrille et Méthode, Mustapha Kemal, futur Atatürk ou le grand-père de
Nicolas Sarkozy.
Paul Zepdji @mahj
Elle
personnifia jusqu’à sa destruction par les nazis en 1943 une utopie
multiethnique de communautés vivant en harmonie, les unes à côté des autres,
les unes avec les autres. On s’entendait pour fermer le samedi et lors des
fêtes juives. C’est ce que montre à merveille l’exposition du musée d’art et
d’histoire du judaïsme de Paris. S’appuyant sur la donation photographique de
Pierre de Gigord, collectionneur passionné de l’Empire Ottoman, dont elle a
tiré cent cinquante clichés des photographes de la ville, Paul Zepdji à la fin
du XIXe siècle puis Ali Eniss, drogman au consulat d’Allemagne de la ville,
l’exposition retrace ainsi merveilleusement un demi-siècle de la vie de cette
communauté juive venue s’installer ici après avoir fui les persécutions
espagnoles du XVe siècle.
Entre
ces murs bâtis par les Romains et où demeure toujours l’arc de Galère, cet
empereur du début du IVe siècle tombé sous le charme de la cité, photographié
par Zepdji et devenu la porte de ces civilisations qui construisirent avec
leurs fils et leurs filles notamment juifs la légende de la ville, le visiteur
est invité à entrer dans cette dernière. A l’aide de plans fort précieux,
l’exposition montre ainsi la division de Salonique en trois quartiers
(chrétien, juif et musulman avec une forte proportion de sabbatéens, ces juifs
convertis à l’Islam). Ces derniers prennent ensuite vie sur ces tirages
effectués d’après les négatifs sur verre qui emmènent les visiteurs dans ces
rues nimbées de la mémoire des civilisations passées, celle des Byzantins, des
Sarrasins, des Croisés, des Ottomans, des Juifs et qui maquillèrent leur
architecture byzantine-ottomane de cet art déco arrivé au début du 20e
siècle. Ces clichés prennent des airs de voyage dans le temps. On a
l’impression de capter les odeurs de poisson du port, d’entendre les rires des
enfants place de l’Olympe ou de croiser des clients sortant du Splendid Palace
ou des cafés.
Les juifs majoritairement séfarades, représentèrent jusqu’à 50 % de la population. Ils sont là sur ces clichés, tantôt en costumes traditionnels, tantôt représentés en portefaix mais l’œil du visiteur qui s’attarde avec nostalgie devant ces photographies se remplit de quelques larmes devant ce monde qu’il sait disparu, d’abord dans les flammes de l’incendie de 1917 qui défigurèrent définitivement cette ville à nulle autre pareille et où près de la moitié des trente-trois synagogues furent réduites en cendres. Puis dans cet autre incendie qui allait, un quart de siècle plus tard, consumer l’Europe entière.
Par Laurent Pfaadt
Salonique, la Jérusalem des Balkans, jusqu’au 21 avril 2024, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1870-1920, Paris 3e
A lire le très beau catalogue signé Catherine Pinguet, Salonique, 1870-1920 CNRS éditions, 172 p.
La
collection des Mondes anciens achève sa trilogie sur la Grèce antique avec un
magnifique volume consacré à la Grèce hellénistique
Coincée
entre la Grèce classique et l’Empire romain, entre Périclès et Hadrien, la
Grèce hellénistique apparaît comme une période transitoire. Il y eut bien
évidemment la parenthèse Alexandre le Grand mais après 323 av. J-C, la Grèce
hellénistique semblait devoir demeurer l’épitaphe d’un monde finissant avant
l’émergence puis l’apogée d’un nouveau. Une croyance que démonte ce nouveau
volume de la collection des mondes anciens qui vient refermer la trilogie
consacrée à la Grèce antique.
La
Grèce hellénistique constitua une époque avant tout marquée par une
fragmentation politique surtout après la mort d’Alexandre le Grand et la
division de son empire entre ses lieutenants. Des grandes batailles d’Alexandre
au Granique (334 av. J-C) ou à Issos (333 av. J-C) face au roi perse Darius
III, aux luttes incessantes et moins connues mais non moins passionnantes entre
les anciens lieutenants du grand conquérant et leurs successeurs comme à
Raphia, près de Gaza en 217 av. J-C durant les guerres de Syrie (274-168 av.
J-C) où Ptolémée IV affronta Antiochos III, le livre rend éminemment
compréhensible les enjeux géopolitiques grâce à des cartes extrêmement
pertinentes qui permettent de mesurer l’importance de cette reconfiguration
civilisationnelle qui ne prit véritablement fin qu’avec l’intégration de
l’Égypte des Lagides à la République romaine finissante. Dans cet art de la
guerre qui se transforma avec une phalange devenue légion et l’émergence d’une
nouvelle thalassocratie, les auteurs analysent parfaitement ces sociétés
militarisées en s’aventurant grâce aux découvertes archéologiques dans la cité
pour montrer justement la construction d’une armée royale appuyée sur des clans
ainsi que l’évolution de l’urbanisme, du commerce et d’une vie quotidienne où
perdura l’esclavage grec classique.
Une
riche iconographie procurant comme à chaque fois avec les volumes de cette
collection, un plaisir non dissimulé,
ménage des pauses avec ces focus sur l’autel de Pergame, monument emblématique
du baroque hellénistique et qui figura un temps parmi les sept merveilles du
monde, sur la victoire de Samothrace édifiée à la suite de la bataille de Cos
(262/261 avant J-C) remportée par les Antigonides sur les Lagides et bien
évidemment sur la Venus de Milo, chef d’œuvre de la statuaire grecque. Ces
trésors permettent ainsi de prendre conscience que cette période développa une
intense activité artistique tant dans la réalisation de monuments que dans la
production d’oeuvres littéraires avec Polybe ou Pline l’Ancien, premiers
propagandistes de cette nouvelle civilisation qui s’inscrivit dans la
continuité des derniers feux de la Grèce comme civilisation prédominante de la
Méditerranée. Car le livre montre également que la Grèce hellénistique ne se
réduisit pas aux frontières des royaumes grecs mais s’étendit jusqu’au sud de
l’Égypte et au Proche-Orient des Nabatéens de Petra et de Jésus.
Victoire Samothrace
Le
livre explique ainsi très bien cette continuité avec la Grèce classique puis
son influence sur Rome et son empire. Comme un passage de témoin
civilisationnel. Une continuité qui se manifesta dans la transmission de
l’hellénisme, ce courant politique, philosophique et artistique qui se diffusa
au sein des élites romaines, de Scipion l’Africain à l’empereur Hadrien. « Le
destin de l’hellénisme apparaît paradoxal : sa pérennité tient à son
adoption par les élites romaines, victorieuses des cités et des rois
hellénistiques » écrivent ainsi les auteurs. Un hellénisme marqué
notamment par l’éphébie, ce temps d’instruction civique et militaire très prisé
de certains généraux romains. Un hellénisme qui survécut à la chute de Rome et
que les auteurs convoquent via des représentations tirées du Moyen-Age, de la
peinture baroque et du cinéma pour mieux illustrer leur propos.
Livre politique, archéologique et sociologique, la Grèce hellénistique offre ainsi une plongée passionnante dans une époque charnière de l’Antiquité faite de ruptures et de continuité. « Et Rome, unique objet d’un désespoir si beau, du fils de Mithridate est le digne tombeau » écrivit Racine dans sa pièce Mithridate, ce roi du Pont défait par le général romain Pompée. Un tombeau qui allait devenir berceau.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère) coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.
A lire également : Laurent Gohary, Scipion l’Africain, Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
On avait quitté Cortès et les membres de son expédition lors de la rébellion de Tenochtitlan qui faisait suite au massacre du Grand Temple par les troupes de José de Alvarado, le 22 mai 1520. Hernan Cortès était alors absent. A son retour, il découvrit le chaos et des Aztèques bien décidés à chasser les conquistadors. Un chaos magnifiquement retranscrit dans cette deuxième partie de la BD que Christian Chavassieux et Cedric Fernandez consacrent au célèbre conquistador.
Grâce
à un scénario bien en place toujours narré par La Malinche, appelée tantôt
Malintzin ou Dona Marina, la compagne de Cortes qui lui donna un fils, le récit
avance comme un sillon tracé entre les deux fanatismes, espagnol et aztèque,
comme un sentier vers ce nouveau monde, cette nouvelle civilisation à venir.
Cette dernière se matérialisera dans ce cœur du monde unique, celui du fils de
Cortès et de la Malinche. Un nouveau monde tout en fureur et en mouvement, aux
couleurs éclatantes, aux reflets de feu et de sang dans ces batailles
terribles, de bleus et de verts dans ces costumes et parures aztèques de toute
beauté.
Avançant vers le dénouement de la conquête de l’empire aztèque avec la prise de Tenochtitlan, le 13 août 1521 qui deviendra bientôt Mexico, les auteurs parviennent à construire un Cortès ambivalent, à la fois cruel et magnanime, homme de la couronne espagnole en quête d’or et visionnaire d’un monde métissé que vient d’ailleurs confirmé le traditionnel et précieux cahier historique placé, comme à chaque fois dans cette collection, en fin d’ouvrage, permettant ainsi de contextualiser cette bande-dessinée très réussie.
Par Laurent Pfaadt
Christian Chavassieux, Cédric Fernandez, Cortès Tome 2 – le Cœur du monde unique Glénat, 56 p.
Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.
Le
Musée de Cluny rend hommage aux arts français sous le roi Charles VII
Coincés
entre les primitifs flamands et une peinture italienne d’un Fra Angelico prête
à basculer du Moyen-Age à la Renaissance, les arts sous Charles VII peinèrent à
exister à l’image de son royaume divisé
luttant contre un Etat bourguignon allié à une Angleterre revendiquant le trône
de France durant la fameuse guerre de Cent ans. Organisée avec la collaboration
exceptionnelle de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs fondations,
l’exposition du musée de Cluny pose tout d’abord le décor politique et
artistique de l’époque. Car, si l’histoire de France, notamment sous la plume
du grand Michelet, a retenu Charles VII comme le souverain qui dut sa couronne
à la Pucelle d’Orléans, elle n’a pas fait grand cas de son goût pour les arts
et notamment pour les livres. Pourtant, le sacre du roi à Reims, le 17 juillet
1429, puis le traité de paix d’Arras (21 septembre 1435) sorti pour l’occasion
des archives nationales vinrent stabiliser le royaume de France et permirent
également, comme le rappelle Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et
commissaire de l’exposition, « de s’adonner davantage à la commande
publique ».
Il
faut reconnaître que l’époque était à la célébration de génies. L’Ars Nova
propagé par les Bourguignons et emmené par Jan Van Eyck, Roger von der Weyden
et Barthélémy d’Eyck dont le fabuleux Triptyque de l’Annonciation de
l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence magnifiquement décrypté et qui vaut
à lui seul le détour, venait de révolutionner la peinture rompant avec l’art
gothique tandis que de l’autre côté des Alpes, Fra Angelico jetait les bases
d’une Renaissance qui allait tout emporter.
Détail du Triptyque de l’Annonciation, Barthélémy d’Eyck, église de la Madeleine Aix-en-Provence
La
France de Charles VII élabora alors une
synthèse de ces différents courants artistiques et définit une voie picturale
propre déclinée nationalement et régionalement, et qui trouva dans la figure de
Jean Fouquet son plus éminent représentant. Et si l’exposition présente le
fameux Portrait de Charles VII du Louvre, elle s’attarde également sur
son travail moins connu d’enlumineur en particulier celui opéré dans Les
Grandes Chroniques de France.
Jean
Fouquet fut ainsi la Jeanne d’Arc artistique du roi et occupa dans le paysage
artistique, selon les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue
qui accompagne l’exposition, « une place singulière » en tant
que « portraitiste virtuose maîtrisant la perspective sous toutes ses
formes et incluant dans son répertoire des motifs directement empruntés à
l’Italie ». Jean Fouquet jeta ainsi les bases du style français. Sa
figure est omniprésente dans l’exposition même si on regrettera l’absence du Diptyque
de Melun que le catalogue convoque malgré tout. Le visiteur se contentera
de l’observer à travers la radiographie du Portrait de Charles VII qui
laisse ainsi apparaître que Fouquet commença à peindre une vierge identique à
celle du Diptyque de Melun avant de changer d’avis. Il pourra en
revanche s’émerveiller devant le Triptyque de Dreux Budé d’André d’Ypres
reconstitué pour la première fois et qui constitue le point d’orgue de cette
exposition.
Convoquant des trésors de parchemins tirés de la BNF, véritables pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci montre avec ces bréviaires, chroniques et autres livres d’heures comme les Grandes Heures de Rohan ou le Bréviaire de Bedford d’Haincelin de Haguenau, l’incroyable finesse de l’enluminure à la française, art majeur de l’époque, avec la puissance expressive de ses pastels et ses rouges et bleus tonitruants qui concoururent avec ces monumentales tapisseries ainsi que le très beau dais royal à la mise en valeur de la représentation de la personne royale. Un reconquête artistique qui en appelait une autre.
Par Laurent Pfaadt
Les arts en France sous Charles VII (1422-1461) jusqu’au 16 juin 2024 Musée de Cluny, Paris 5e
A lire le catalogue de l’exposition : Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461, RMN, 320 p.
A lire également :
Christian
Heck, Le retable de l’annonciation d’Aix, récit, prophétie et accomplissement
dans l’art de la fin du Moyen Age, Faton, 208 p.
Jean-Christophe
Rufin, le grand Coeur, Folio, 592 p.
Laurent
Gohary signe une passionnante biographie de l’une des figures clés de la
République romaine
Son
nom restera éternellement associé à celui d’Hannibal, le grand conquérant
carthaginois qu’il vainquit. Et pourtant, l’histoire, dans sa grande et célèbre
injustice a choisi, une fois n’est pas coutume, de ne retenir que son perdant.
Dans
ce portrait fascinant alliant érudition et rythme qui réinstalle Scipion
l’Africain à la juste place qui doit être la sienne dans l’histoire de la
République romaine, le lecteur découvre un stratège militaire hors pair qui
modernisa l’armée romaine pour faire face à la plus grande puissance de son
temps, Carthage, mais également un homme cultivé, passionné d’histoire grecque
qui se rêva en successeur du grand Alexandre.
Il
eut face à lui un Sénat hostile emmené notamment par Fabius Cunctator, l’ancien
dictateur qui sauva Rome après le désastre du lac Trasimène et un Caton
l’Ancien qui accusa Scipion de débauche pour son goût de l’hellénisme. Jouant
le peuple contre les élites auxquelles il appartenait pourtant, Scipion lui
imposa une guerre qu’il porta en Afrique en défiant Hannibal à la célèbre
bataille de Zama en 202 avant J-C. Puisant dans les sources et notamment
Tite-Live, Polybe et Appien, Laurent Gohary embarque ainsi son lecteur dans ces
batailles romaines devenues légendaires (Cannes, Magnésie, Trasimène, Métaure)
jusqu’à Zama où « se joua le sort de toute la Méditerranée et, sans
doute, de la civilisation romaine elle-même » écrit-il. Un choc des
titans à revivre à travers un récit enlevé, appuyé sur une carte et ces mots de
Polybe : « il arrive aussi que, comme le dit le proverbe, un grand
homme en rencontre un autre qui soit plus grand que lui »
Devenu l’homme fort de la République, tissant ses réseaux grâce à sa gens, mais trop intègre et soucieux de sa place dans l’histoire, Scipion ne franchit jamais le Rubicon. La République n’était pas encore ce fruit mûr prêt à tomber. Jalousé, devenu trop puissant, Scipion finit comme ces illustres grecs qu’il aimait tant : ostracisé. Un siècle et demi plus tard, un autre général victorieux saura retenir la leçon. Une leçon littéraire contée de la plus belle des manières.
Par Laurent Pfaadt
Laurent Gohary, Scipion l’Africain Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
A lire également :
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère), coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.