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Sur les traces de J.-S. Bach

Quiconque s’intéresse à la musique baroque et à Jean-Sébastien
Bach en particulier ou qui a laissé ses oreilles un peu trop traîner sur
les ondes de France Musique ne peut ignorer Gilles Cantagrel.
Poursuivant une nouvelle fois son idole, il nous convie cette fois-ci à
ce voyage littéraire assez incroyable. A la fois exhaustif et léger,
profond et magnifiquement didactique, Sur les traces de J.-S. Bach se
propose de suivre le cantor de Leipzig à chaque étape de sa vie et de
sa mort. Traversant l’Europe et le temps, l’ouvrage de Cantagrel est
un véritable guide historique et musical qui suit Bach des chapelles
allemandes où il officia jusqu’aux interprétations et
réinterprétations de ses œuvres et notamment la fameuse
Chaconne de la Partita n°2, révélée en 1848 par le compositeur et
violoniste Henri Vieuxtemps en passant par les tribunaux ou les
plaisanteries dont cet aveugle était friand. Sans la lourdeur d’une
biographie réservée aux initiés, Sur les traces de J.-S. Bach n’en
demeure pas moins très complet et permet de répondre aux
questions que nous nous posons tous sur celui qui reste avec Mozart
et Beethoven, l’un des plus grands musiciens de l’histoire de
l’humanité, peut-être même le plus grand.

Fourmillant d’une multitude d’anecdotes fascinantes comme cette
rencontre qui n’eut pas lieu entre Bach et Haendel, « son jumeau
historique, né quatre semaines avant lui » selon l’auteur, Sur les
traces de J.-S. Bach est absolument passionnant. Le lecteur y entre
quand bon lui semble et l’abandonne pour mieux y retourner.
Assurément, le livre de chevet idéal pour tous ceux qui souhaitent
être bercés par les notes d’une suite pour violoncelle ou des
variations Goldberg avant de plonger dans des rêves d’éternité.

Par Laurent Pfaadt

Gilles Cantagrel, Sur les traces de J.-S. Bach,
Chez Buchet et Chastel, 496 p
.

Le Roman de Genji

Le Roman de Genji appartient au patrimoine littéraire japonais.
Cette œuvre d’une grande beauté, encensée par les plus grands
écrivains à commencer par Borges et écrite dans un Moyen-Age
plein de mystères relate les aventures de Genji, ce fils illégitime de
l’Empereur du Japon, fruit d’un amour inconsolable, à la cour de
l’Empire du Soleil levant.

René de Ceccaty, traducteur émérite du japonais et les éditions
Vendémiaire embarquent le lecteur dans ce nouveau voyage en
suivant cette incroyable épopée qui chevauche entre rêve et réalité.
Reprenant l’excellente traduction de Kikou Yamata de 1927, la prose
de Shikibu se veut à la fois roman et poésie mâtinée de quelques
touches de réalisme magique. Le caractère métronomique de la
narration est proprement stupéfiant. Profondément contemplatif et
pétri de rebondissements, ce conte des mille et une nuits japonais
est à déguster ligne après ligne…

Par Laurent Pfaadt

Murasaki Shikibu, Le Roman de Genji,
Aux éditions Vendémiaire, 336 p.

GALERIE ART’COURSE

Art Doudou
Exposition collective

10 mars – 03 avril 2021

En cette période difficile nous avons invité les artistes à travailler autour de la notion d’Art Doudou car nous avons besoin de réconfort et d’humour. L’art peut-il être cet objet transitionnel ? Quel est votre Art Doudou ?

 LES ARTISTES

KARIM ALLAOUI
FRANCOISE AMET
ANNETT ANDERSCH
MYRTILLE BÉAL
GENEVIÈVE CHARRAS
MÉLANIE RICHET
HERVÉ RIOUX
RENÉE TOVARELLI
SIMONE

Galerie ART’COURSE
Myrtille BEAL,Directrice artistique

49a rue de la Course
67000 Strasbourg
T +33 (0)3 69 74 73 73 

http://www.galerieartcourse.com
contact@galerieartcourse.comHoraires d’ouverture :
Mercredi, jeudi, vendredi 15h-19h Samedi 14h-19h

Pâques russes à Baden-Baden

Festival de Pâques 2021 & 2012

BPhil BB, Kirill Petrenko
© Monika Rittershaus

Le 12 mars en conférence de presse (par Zoom), le directeur général
du Festspielhaus de Baden-Baden, Benedikt Stampa, très entouré, a
présenté l’épine dorsale des deux prochains Festivals de Pâques : 
l’opéra russe autour de Tchaïkovski et Pouchkine en étroite
collaboration avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin 
(représentés par Olaf Maninger, violoncelle solo) et son chef 
Kirill Petrenko.

L’édition 2021 – qui ne peut se tenir aux dates prévues en raison de
la pandémie – sera rattrapée du 6 au 9 mai avec un programme
réduit, celle de 2022 se déroulera l’an prochain du 9 au 18 avril.

Kirill Petrenko, chef principal de la phalange berlinoise depuis 2019,
rappelait la commotion d’avoir dû suspendre Fidelio l’an passé. Ce
printemps, il a fallu « déplacer Pâques en mai », pour préserver cette
collaboration avec le Festival à laquelle il est très attaché et qui
permet au Berliner de cultiver sa tradition d’orchestre de fosse. Il est
très heureux d’offrir aux festivaliers Mazeppa, un opéra avec de
beaux personnages et que Tchaïkovski a innervé de thèmes
folkloriques. L’œuvre entrera au répertoire de l’orchestre et sera
donné en version concertante avec une belle distribution vocale
(dont Olga Peretyatko en Maria, Vladislav Sulimsky en Mazeppa).
Le maestro dirigera aussi deux productions en 2022, toujours de
Tchaïkovski : « La dame de pique » dans une nouvelle mise en scène
de Moshe Leiser et Patrice Caurier et « Yolantha » en version de
concert.

Anna Netrebko

Également programmés au printemps 2022, les trois plus célèbres
ballets de Stravinsky interprétés par les Berliner et trois
prestigieuses sopranos : Asmik Grigorian, Anna Netrebko et Sonya
Yoncheva.

Dans l’immédiat, durant la semaine de Pâques 2021 (du 1er au 5
avril), le Festspielhaus Baden-Baden poursuivra son HausFestspiel 
en streaming gratuit et en direct avec des membres du Berliner
Philharmoniker. Le dimanche de Pâques (4/04) à 17 heures,
l’orchestre au grand complet dirigé par Kirill Petrenko s’invitera sur
Arte avec des œuvres de Tchaïkovsky et Rachmaninov.

Les prochains jours, un « concert expérimental » des Berliner rôdera
les protocoles pour valider un accueil sûr et serein du public comme
des musiciens. Cela permettra de préciser la jauge de mai et d’ouvrir
la billetterie (préventes seulement à partir du 9 avril pour le Festival
2021, mais dès le 18 mars 2021 pour l’édition 2022).

Toutes ces informations sont évidemment données avec les réserves
d’usage en ces temps chahutés. Pour les mélomanes, le mieux est de
vérifier le détail de la programmation sur le site du Festspielhaus.

Par Luc Maechel

Regionale21 – E-Werk Freiburg

Donnerstag 18. März – So 23. Mai 2021
Galerie 1: Emeka Udemba

#Another day in Paradise

An der „Regionale21“ zeigt Emeka Udemba die neue Installation 
#Another day in Paradise mit raumgreifender Malerei und Objekten
Ausgangspunkt ist seine Erfahrung, als Schwarzer in Deutschland zu
leben und aufgrund der Hautfarbe oftmals als Anderer
abgestempelt zu werden. Die Porträts sind von einer Art collagierter
Schleier überzogen, der die verstellte Wahrnehmung thematisiert.
Die mit Spiegelscherben beklebten Kapuzenobjekte spiegeln den
Blick und die von ihm ausgehenden Machtstrukturen.

Galerie 2:

Künstler*innen: Nadine Cueni (CH), Daniel Dressler & Lynne
Kouassi (CH), Jasper Simeon Mehler (CH), Paula Mierzowsky &
Johann Diel (DE), Björn Nussbächer (CH), Julian Salinas (CH), Lea
Torcelli (DE), Florian Thate (DE), Jodok Wehrli (CH)

Songs From the End of the World

Unsere Gegenwart ist nicht nur von einer Pandemie bestimmt,
sondern sie muss sich auch mit den drohenden ökologischen
Desastern stellen. Es scheint, dass wir aktuell die vielfältigen
Symptome eines grundsätzlichen Wandels verspüren. Die an der
„Regionale21“ gezeigten Positionen beschäftigen sich mit Themen
des Übergangs, der Transformation oder der Auflösung. Einige
versuchen, Reflexions- und Handlungsräume zu schaffen für
mögliche Wege in die Zukunft.

Öffnungszeiten

Do/Fr 17-20 Uhr, Sa 14-20 Uhr, So 14-18

Es gelten die allgemeinen Abstands- und Hygienemaßnahmen.
Terminbuchung erforderlich – online über unsere Homepage.

Galerie für Gegenwartskunst, E-WERK
http://www.gegenwartskunst-freiburg.de

Miserere

Arvo Pärt est très certainement l’un des plus grands compositeurs
vivants. Son énorme production placée sous le signe du mysticisme
et de la méditation explose littéralement dans ce Miserere. De cette
œuvre musicale composée d’après le Psaume 51, « Miserere mei,
Deus »« Ô Dieu, aie pitié de moi », tout le monde a en tête la version
d’Allegri. Mais celle d’Arvo Pärt, composée initialement en 1989 et
révisée en 1992, n’a rien à envier à son lointain modèle, bien au
contraire.

Dotée d’une puissance émotionnelle absolument prodigieuse portée
par un orchestre très inspiré et qui fait oublier la version de
référence du Hillard Ensemble, cette version du Miserere, œuvre
que Nanni Moretti utilisa dans son film Habemus Papam est
véritablement portée par la grâce. Le caractère minimaliste de son
écriture, loin d’appauvrir l’œuvre, la transcende au contraire,
produisant un effet émotionnel similaire à celui de la troisième
symphonie de Górecki. Quant à son Dies Irae, il est bienveillant,
impérieux sans être punitif.

Une œuvre à posséder assurément dans sa discothèque.

Par Laurent Pfaadt

Arvo Pärt, Miserere, Chor des Bayerischen Rundfunks, Münchner Rundfunkorchester, dir. Howard Arman
Chez BR Klassik

Brejnev, l’antihéros

Leonid Brejnev adorait le théâtre. Et la pièce dont il fut le principal
acteur s’apparenta tantôt à une honteuse tragédie, tantôt à une
comédie pathétique. C’est ce que montre à merveille cette première
biographie française du leader soviétique signée Andreï Kozovoï,
maître de conférences à l’université de Lille. Pour quelle raison
Brejnev ne suscita que peu d’intérêt parmi les chercheurs français ?
Parce que coincé entre le turbulent Khrouchtchev et le réformateur
Gorbatchev ? Parce que son époque ne vacilla pas comme à Cuba en
1962 ou à Berlin en 1989 ? Parce que Brejnev incarna parfaitement
l’antihéros, objet des blagues les plus grotesques et symbole du
discrédit moral de l’URSS ? Peut-être pour toutes ces raisons à la fois
finalement.

Dans ce grand théâtre cynique et sanglant que fut le 20e siècle,
Leonid Brejnev demeura longtemps dans la coulisse. Modèle de
l’apparatchik ayant réussi à passer entre les gouttes des purges, il
rejoignit la cour d’un autre ukrainien, Nikita Khrouchtchev qu’il
trahit lors de la révolution de palais d’octobre 1964 qui le porta au
pouvoir. Grâce à des archives inédites, l’auteur nous fait ainsi revivre
presque heure par heure, au sein du Poliburo, cet évènement majeur
du 20e siècle.  

Fin politique, Brejnev installa une gouvernance faite de népotisme
où l’on retrouva des membres de sa famille et de la « mafia de
Dniepropetrovsk » c’est-à-dire de fidèles à lui, au sein d’un système
qualifié de « culte de la personnalité sans personnalité ». En fait, celui-ci
s’apparenta à un conservatisme qui ne dit pas son nom où les écarts
avec le dogme soviétique ne furent pas tolérés. Prague en 1968 ou
les dissidents en firent ainsi les frais. Mais l’inadaptation de ce
conservatisme avec le monde de la deuxième partie du 20e siècle
accéléra la chute du régime soviétique. Déclin économique
irrattrapable, décisions géopolitiques hasardeuses comme en Afghanistan, Brejnev restera bien dans l’histoire comme le fossoyeur
de l’URSS. Et le ciment du mythe de la grande guerre patriotique
dont il usa ne parvint pas à éviter l’effondrement du système.

Le lecteur assiste ainsi en même temps aux dérives à la fois d’un
système et de l’esprit d’un homme. En s’appuyant sur les carnets
personnels de Brejnev dont il démêle en historien averti le vrai du
faux, la réalité du mythe et en croisant d’autres sources inédites et
passionnantes – comme celles de la répression de l’insurrection de
Budapest en 1956 –  Andreï Kozovoï nous montre combien Brejnev
personnifia l’enfermement d’un système qui finit par pourrir de
l’intérieur.

Par Laurent Pfaadt

Andreï Kozovoï, Brejnev, l’antihéros
Aux éditions Perrin, 400 p.

The White Darkness

Après l’humidité de la jungle, le froid polaire. Mais quel que soit
l’environnement, il se trouvera toujours des hommes intrépides ou
fous pour s’y confronter, s’y perdre. Voilà en substance ce qui attend
le lecteur en s’embarquant dans ce nouveau voyage au cœur des
ténèbres. Après La Cité perdue de Zla Note américaine et le Diable et
Sherlock Holmes, le nouveau récit magistral de David Grann nous
emmène sur les traces d’Henry Worsley, aventurier moderne de
l’Antarctique.

Fervent admirateur de l’explorateur britannique Ernest Shackleton
qui mena de nombreuses expéditions dans l’Antarctique jusqu’à
collectionner les effets personnels de ce dernier et descendant de
l’un des compagnons de l’expédition Endurance que Shackleton
mena en 1914, Henry Worsley effectua une brillante carrière dans
les commandos d’élite de l’armée britannique avant que le démon de
l’expédition polaire ne le rattrape. Très vite, avec d’autres
descendants de compagnons de Shackleton, Worsley monta lui-
aussi une expédition au Pôle Sud sur la base de celle de son illustre
modèle qui renonça à atteindre le Pôle Sud pour préserver la vie de
ses hommes. Les pages relatant ainsi, à un siècle d’intervalle, les
expéditions de Shackleton et de Worsley sont, comme toujours avec
Grann, haletantes. Les chutes dans les crevasses, la titanesque
ascension du glacier Beardmore ou les vents coupant comme des
rasoirs entretiennent le suspens. La mort est omniprésente car «
l’Antarctique a deux façons de vous ôter la vie (…) Elle vous use sur une
longue période en vous faisant peu à peu mourir de faim, de froid ou
d’épuisement (…). Ou elle vous jette dans la gorge d’une crevasse en une
fraction de seconde » relate ainsi Henry Worsley. Les figures
disparues de l’exploration polaire dont celle de Robert Falcon Scott
qui mena lui aussi une expédition vers le Pôle sud en 1912 et la
mythologie du Pôle sud ajoutent à la dramaturgie, rendant ainsi plus
palpitant encore l’exploit de Worsley et de ses compagnons.

Mais le grand intérêt du livre vient après, lors de ce point de bascule
entre quête et obsession. Henry Worsley, acclamé comme un grand
explorateur des pôles réunissant des fonds importants pour des
œuvres caritatives, veut aller plus loin, dans l’exploit, dans l’effort,
dans l’absolu. Pourquoi ? Pour voir « son âme à nu » comme il l’écrivit
lui-même. A cet instant, la littérature du journaliste américain
excelle une fois de plus à rendre compte de ces ténèbres, ceux qui
traversent le cœur des hommes. Worsley vient de rejoindre Percy
Fawcett, tous deux prisonniers de leurs propres obsessions. A un
siècle d’intervalle, les deux hommes ne vécurent que pour cela.
Leurs proches furent sacrifiés, la vie quotidienne ne compta plus.
Enfermé dans leurs rêves destructeurs, ils n’ont eu, sans se l’avouer,
d’autres horizons que la mort. Ce fut le prix à payer voir son âme à
nu dans la blanche obscurité. 

Par Laurent Pfaadt

David Grann, The White Darkness
éditions du sous-sol, 160 p.

Dernières nouvelles et autres nouvelles

L’écrivain californien a le don de se trouver là où on ne l’attend pas.
Et pour ce recueil de nouvelles qui se veut le dernier de sa longue et
fascinante production, il nous emmène au pays des morts. Préparez-
vous donc à côtoyer goules, sorcières, vampires et autres fantômes.  
De cette Europe qu’il a sillonnée à Kyoto et cette merveilleuse
nouvelle qui voit une Geisha transformée en cerisier en passant par
le Mexique, ces trente-deux nouvelles nous conduisent de
cimetières en lieux hantés mais plus étrangement parmi les vivants,
parmi nous. Et si le lecteur prend plaisir à suivre les traces de
l’écrivain, chaussant ses bottes littéraires dans celles,
incommensurables, des frères Grimm ou des romantiques
gothiques, la grande force de ces nouvelles tient avant tout dans le
rapport, le calque dirions-nous, que projette Vollmann sur les
vivants.

Ici, les monstres ne sont que des avatars qui servent à questionner
nos représentations. Dans ce carnaval macabre au sein duquel
William T. Vollmann règne, depuis ses débuts en littérature, en grand
ordonnateur, les personnages ne cessent d’interpeller les lecteurs
en les confrontant à leurs hypocrisies collectives. Les morts, qui
n’ont plus rien à perdre, surtout pas la vie et libérés de leurs statuts
sociaux et de leurs postures civilisationnelles, viennent ainsi
questionner nos convenances sociales et leurs futilités.

Magistralement construit (comme à chaque fois), le récit de
l’écrivain s’insinue dans les interstices de cette violence qui
constitue le ciment des rapports humains. La mort, l’assassinat et
même le sexe, ne sont que l’aboutissement de la grande œuvre de
tout humain, celle qui le voit, à chaque étape de sa vie, domestiquer
la violence. Dans ces pages, ceux que nous appelons monstres,
viennent nous rappeler qui nous sommes réellement. Mais loin
d’être un réquisitoire morbide, ce livre est avant tout une
introspection. Car ces vampires et fantômes interrogent nos
rapports à la vie, aux autres et au monde. La mort comme le sexe ne
sont-ils pas en définitive nos derniers espaces de liberté ? Vollmann
semble en tout cas le penser. Et à cet instant, le lecteur se met à
danser avec les morts. Le carnaval n’est-il pas avant tout une fête ?

Par Laurent Pfaadt

William T. Vollmann, Dernières nouvelles et autres nouvelles
Chez Actes Sud, 896 p.

L’exil et le rêve d’un royaume

Ce sont des bateaux que l’on regarde partir
de Christophe Fourvel

L’auteur anime des ateliers d’écriture accueillant notamment des
allophones, beaucoup étant des migrants d’hier et d’aujourd’hui, et
même d’avant-hier. Il a ainsi collecté la parole d’une quarantaine
d’entre eux. Des textes fragments évoquant leur vécu d’ailleurs et
d’ici, illuminés par moments d’une saillie tranchante ou renversante
comme celle d’Omassad : Le monde est un pays aux serrures
compliquées où tout est rouillé sauf le ciel. (p. 35)

Les textes courts – souvent juste un paragraphe – s’enchaînent
esquissant un paysage humain où se mêlent les origines et les
générations. Des itinéraires, des vies qui glissent de là-bas vers ici, se
posent, la plupart du temps, dans de petites villes. Des destinées
semblables fuyant un printemps arabe ou le génocide arménien, et
qui viennent de l’Est, des Balkans, d’Afrique ou d’Asie… Leurs paroles
plurielles disent la récurrence de ce chemin d’exil, une composante
éternelle de notre (in)Humanité.

Les confessions s’inscrivent dans l’enfance, scandent l’impérieuse
nécessité du départ bien plus que l’envie. Ce : Il nous fallait juste partir 
résonne d’une bouche à l’autre, même si la guerre, les violences, la
pauvreté sont invoquées. Leurs récits n’insistent guère sur les débris
d’images concassées par la peur, les patrouilles, les armées arrogantes ou
ivres (p. 86), préfèrent s’attarder sur leurs vies neuves avec la
perspective d’un accomplissement.

Un univers littéraire et poétique dont l’auteur agence les fragments
en citant l’Iliade et l’appel de ses aèdes sous les murs de Troie, en
élargissant les perspectives afin que sa voix d’écrivain amplifie la
matière sensible de ces hommes, ces femmes, car la vie pèse
beaucoup plus lourd que la littérature (p. 14). L’exilé trouve ainsi une
humanité et une identité grâce à ses propres mots : il ne sera
personne avant son récit, sinon Il est une allégorie, un symbole, une pré-
histoire que l’on s’illusionne de connaître. (p. 102)

Au fil des pages, l’unité nait de cette diversité et l’écriture tout en
délicate broderie de Christophe Fourvel nous mène dans l’intimité
de ces frères et sœurs humains avec la conviction que cette
proximité fera tomber le mur des préjugées : Essayer d’être raciste
avec de tels groupes d’humains, vous n’y arriverez pas. (p. 86)

par Luc Maechel

chez médiapop éditions, nov. 2020, 141 p.
Collection Ailleurs

Invité du mini-Festival du livre de Colmar mis en ligne
du 22 au 27 février,
Christophe Fourvel est interviewé par Jacques Fortier
en compagnie de Marion Muller-Colard (Wanted Louise, Gallimard)