#Lecturesconfinement : Oeuvres de Cesare Pavese par Pierre Adrian

Le bon côté d’une sédentarité
forcée, c’est qu’elle donne l’occasion de découvrir des lectures
graves ou légères dans des livres
lourds. Quarto est une collection
familière et précieuse qu’on
emporte rarement avec soi. Elle
rassemble des textes éparpillés.
Dans le beau rouge et blanc du
Quarto, il convient de lire et relire
Cesare Pavese. Le volume parut en
2008 est présenté par Martin
Rueff. Tout y est. La poésie de
l’écrivain turinois, Travailler Fatigue,
ses cours romans: Le Bel ÉtéLa PlageLa Lune et les feux… Et Le Métier
de vivre
, bien sûr, son douloureux journal. Pavese est le grand
écrivain du temps qui passe, du souvenir, de l’enfance, du retour
chez soi. Il écrit avec une simplicité qui dit tout.

Une fois achevée cette existence confinée, on partira en Italie, un
livre de Pavese sous le bras. Et un soir, comme dans ses romans, on
ira voir les feux de Turin depuis la colline.
Pierre Adrian est écrivain, prix des Deux-Magots 2016 pour La Piste
Pasolini 
(éditions des Equateurs, 2015). Dernier livre paru: Les bons
garçons (
éditions des Equateurs, 2020)

Oeuvres
de Cesare Pavese (Quarto, Gallimard)
par Pierre Adrian

#Lecturesconfinement : Aucun de nous ne reviendra, Auschwitz et après I de Charlotte Delbo par David Korn-Brzoza

J’ai peu le temps de lire. La plupart de
mes lectures se rapportent aux sujets
des films que je réalise. Je les
parcours, surligneur en main, pour y
déceler des idées, des raisonnements,
des faits destinés à appuyer, vérifier,
recroiser mes enquêtes historiques.
Mais parfois, dans une librairie, on
rencontre comme souvent le livre
qu’on ne venait pas chercher. Sur un
coin de présentoir, un livre : «
Auschwitz et après – tome 1 : Aucun
de nous ne reviendra » de Charlotte
Delbo aux Editions de minuit.
Dans ce livre-témoin, l’auteure raconte sa propre histoire. Charlotte
Delbo, ancienne secrétaire de Louis Jouvet, entre dans la Résistance
en 1942. Elle est arrêtée puis déportée en 1943 de Compiègne vers
Auschwitz. C’est un voyage terrifiant vers le monde
concentrationnaire. Cette suite de souvenirs est poignante,
bouleversante. Impressions, flashs, moments, instantanés
déstructurés nous transmettent l’univers de la planète Auschwitz.

« Il est une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui
partent. Une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, où ceux qui
sont partis ne sont jamais revenus (…) Ils attendent le pire – ils
n’attendent pas l’inconcevable »
.

A lire absolument.

David Korn-Brzoza est réalisateur de documentaires. On lui doit
récemment « Ku Klux Klan, une histoire américaine »(Roche
Production / ARTE / RTBF / RTS)  et « Décolonisations, du sang
et des larmes » co-écrit avec Pascal Blanchard (Cinétévé, France
Télévisions)


Aucun de nous ne reviendra, Auschwitz et après I
(Minuit) de
Charlotte Delbo
par David Korn-Brzoza

#Lectureconfinement : Le Maître de Ballantrae de Robert Louis Stevenson par Laurent Pfaadt

Que dire de ce livre, ce « cristal à l’état
pur »
 selon Henry James, sinon qu’il
constitue à l’instar d’une petite
dizaine, un absolu pour tout lecteur et
tout écrivain ? C’est un livre que tout
écrivain aimerait écrire, un livre qui
faut absolument avoir lu avant de
mourir, un livre à emporter sur une île
déserte pour ne pas oublier la folie
des hommes, pour se rappeler sans
cesse le paradoxe de l’âme humaine,
capable de la plus grande empathie
comme de la bassesse la plus vile. En
suivant les pas du Maître, James
Durie, ce noble écossais spolié de son titre et de son royaume et qui
n’aura de cesse d’assouvir sa vengeance contre son frère Henry,
Robert Louis Stevenson nous embarque, jusqu’à la conclusion finale
du livre, dans un tourbillon d’aventures, de rebondissements et, en
même temps, dans la noirceur la plus profonde des cœurs. Rien ne
sera épargné aux lecteurs, sa morale sera mise à rude épreuve à
chaque instant. Il est ressortira marqué au fer littéraire. Et malgré
toute cette folie et ce chaos, le génie de Stevenson parviendra à
nous faire aimer ce diable d’homme, c’est dire…


Le Maître de Ballantrae
de Robert Louis Stevenson (Livre de poche)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Ce qui plaisait à Blanche de Jean-Paul Enthoven par Amélie de Bourbon-Parme

C’est un ouvrage à suspens, dont
on rêve de saisir la chute finale
sans jamais vouloir la connaître.
On reste fasciné par l’écriture
magnifique qui décrit le désarroi
du narrateur devant un amour
impossible, inaccompli, sa quête
éperdue pour satisfaire les désirs
de Blanche, son esclavage
volontaire, sa soumission à tout
prix, son étonnement devant sa
propre capitulation. J’ai adoré
suivre ce témoin de sa propre
perdition, qui en décortique
chaque soubresauts sans jamais parvenir à en saisir le sens. Ce qui
s’efface à mesure qu’on avance dans la lecture de ce livre c’est la
définition de l’amour, mystère insondable.
Amélie de Bourbon-Parme est écrivaine et directrice associée de
l’agence Havas Paris. Elle a notamment publié le Secret de l’empereur
(Gallimard, 2015)

Ce qui plaisait à Blanche
de Jean-Paul Enthoven (Grasset)
par Amélie de Bourbon-Parme

#Lecturesconfinement : Putzi de Thomas Snégaroff par Dominique Missika

Après Little-Rock, Thomas
Snégaroff, dans Putzi, nous plonge
au cœur des États-Unis, cette fois-
ci à travers le destin d’un étudiant
d’Harvard. Né à Munich le 2
février 1887, Ernst Hanfstaengl,
allemand par son père et américain
par sa mère, est issu d’une famille
riche qui reçoit chez elle Strauss,
Wagner et Liszt. Alors qu’il mesure
presque deux mètres, on continue
à l’appeler Putzi, qui veut dire en
dialecte bavarois, « petit
bonhomme ».  Son surnom qu’il
porte depuis son enfance lui a été donné par la nurse qui l’élève.
Soutien dès la première heure d’Hitler, il l’accompagne dans son
ascension.  Son atout majeur, c’est son talent de pianiste. Après ses
nombreux discours qui l’épuise, Hitler vient écouter avec Putzi lui
jouer du Liszt et de Wagner. Il l’informe sur les théories racialistes en
vogue aux Etats-Unis. Mais le confident s’échappera de l’Allemagne
nazie, se mettra au service de Roosevelt avant de sombrer dans
l’oubli. Une enquête fascinante sur un personnage trouble.
Dominique Missika est journaliste, écrivaine et directrice éditoriale
aux éditions Tallandier. Dernier livre paru : Un amour de Kessel (Seuil)

Putzi
 de Thomas Snégaroff (Gallimard)
par Dominique Missika

#Lecturesconfinement : White de Bret Easton Ellis par Jennifer Richard

Habituellement hermétique à la
plume de Bret Easton Ellis (ses
énumérations d’objets de marque
entrecoupées de pause cocaïne me
laissent de marbre), j’ai lu son essai
avec délectation. Il décrit la société
américaine élitiste et donneuse de
leçon, celle qui évolue le long des
côtes, dans les habitats privilégiés
d’un pays inégalitaire, celle dont on
trouve un équivalent à Paris, dans les
milieux artistiques et protégés des
tourments de la crise. Un portrait au
vitriol des bien-pensants, des
ayatollahs de la tolérance, des démocrates fondamentalistes, des
extrémistes du vivre-ensemble et des brunches au quinoa. On peut
ainsi lire ce texte comme s’il était écrit par un compatriote, et on
comprend que l’esprit bourgeois, socialement méprisant et
intellectuellement étriqué, ne connaît pas de frontières.
Jennifer Richard est romancière, auteur notamment de Il est à toi ce
beau pays
 (Albin Michel, 2018) et Le diable parle toutes les langues
(Albin Michel), à paraitre en janvier 2021

White
de Bret Easton Ellis (Robert Laffont)
par Jennifer Richard

#Lecturesconfinement : La Colo de Kneller d’Etgar Keret par Inès Benaroya

Etgar Keret est un auteur israélien
complet. Écrivain, scénariste, engagé
dans la création contemporaine, il a
ce talent que j’apprécie tant : son
univers singulier ne ressemble à
aucun autre.
Dans la Colo de Kneller, il imagine une
vie après la mort où seuls les suicidés
se retrouvent. Les personnages
errent dans cet au-delà absurde avec
autant de nostalgie que d’espoir –
mais de quoi ? Quand on n’a plus rien
à perdre, qu’on ne peut plus mourir
de nouveau, comment se met-on à vivre, ou à aimer ?

« Deux jours après m’être suicidé, j’ai trouvé un boulot ici, dans une
pizzeria qui fait partie d’une chaîne, le Kamikaze. »
 L’incipit donne le ton.
L’écriture est sèche, ramassée, et au détour d’une page, quelques
lignes donnent envie de pleurer. Un court texte cinématographique,
foutraque, incroyablement émouvant, à lire lentement pour ne rien
en perdre.
Inès Benaroya est chef d’entreprise et écrivaine. Dernier livre paru :
Quadrille (Fayard)

La Colo de Kneller
d’Etgar Keret (Actes Sud)
par Inès Benaroya

Lecturesconfiement : Les éminences grises de Charles Zorgbibe par Laurent Pfaadt

C’est à un voyage dans l’histoire et
les arcanes du pouvoir que nous
convie Charles Zorgbibe, éminent
spécialiste des relations
internationales et auteur des
biographies de référence de
Metternich, Guillaume II ou
Kissinger (de Fallois). L’éminence
grise est ainsi ce conseiller qui se
tient dans l’ombre de l’homme de
pouvoir pour lui dicter bonnes ou
mauvaises décisions. Notre cher
Alain Rey aurait certainement
précisé qu’éminence, au figuré,
voulait dire, au XVIe siècle, haut degré, excellence et que grise
renvoyait à la robe de capucin du Père Joseph, conseiller de
Richelieu qui joua un rôle fondamental lors des négociations des
traités de Westphalie en 1648 qui redessinèrent la carte de l’Europe
au profit de la France.

C’est d’ailleurs lui qui nous ouvre les portes de ce livre plein
d’érudition (comme à chaque fois avec Charles Zorgbibe) et nous
emmène dans toutes les époques et sur tous les continents à la
rencontre de personnages connus comme Jean Monnet ou Jacques
Foccart et d’autres restés dans l’ombre de l’histoire qu’ils ont
souhaité opaque pour eux-mêmes tel le baron Holstein, enfermé
dans son minuscule bureau de la Wilhelmstrasse qui conseilla le
Kaiser Guillaume II et obtint la tête de l’homme le plus puissant de
son époque, le célèbre Bismarck. Mais c’était sans compter le
projecteur littéraire de notre auteur, toujours prompt à nous
révéler, les côtés obscurs des hommes de pouvoir.

Les éminences grises
de Charles Zorgbibe (éditions de Fallois)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : L’enfance céleste de Maud Simonnot par Emmanuelle de Boysson

En cette période de confinement,
voilà un roman essentiel, une
respiration. On résume l’affaire :
Célian n’aimait pas l’école. Pauvre
Célian. Il était un petit garçon
incompris, sans doute surdoué.
Alors, après une rupture
amoureuse, Mary, sa mère
l’emmena dans une île de la mer
Baltique où, pendant la
Renaissance, l’astronaute, Tycho
Brahe, redessina de son
observatoire la carte du ciel. Dans
cette nature sauvage, ils
s’émerveillent, se lient avec les habitants, pêchent, se promènent,
rêvent aux étoiles. Un roman poétique et sensible, illuminé par la
joie de Célian et l’amour inconditionnel que lui porte sa mère. Avec
Maud Simonnot, on prend le large, un grand bol d’air.

Emmanuelle de Boysson est romancière et critique littéraire. Elle
vient de publier Je ne vis que pour toi(Calmann-Lévy).

L’enfance céleste
de Maud Simonnot (L’Observatoire)
par Emmanuelle de Boysson

#Lecturesconfinement : La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg par Véronique Olmi

Né en 1939, Jean-Claude Grumberg,
dramaturge, auteur de livres pour la
jeunesse et scénariste,
 est l’un des
auteurs contemporains les plus joués
au monde, l’un des plus étudiés dans
les écoles.
 En 1942, son père est
arrêté devant lui, emmené à Drancy
puis déporté à Auschwitz. Séparés
 de
leur mère, son frère ainé et lui sont
emmenés dans une maison d’enfants.
Cette tragédie est
 au cœur de sa vie et
de son œuvre. Dans La plus précieuse
des marchandises
, il est question

justement, d’une partie de la
population appelée « les sans-cœurs », une partie de la population
considérée par une autre, plus nombreuse et donc plus puissante,
comme « non humaine »et acheminée par longs et incessants
convois, vers la mortCe pourrait être un conte, une histoire
impossible, pas vraie. Le livre ne commence-t-il pas par : « Il était une
fois »
 ? Le livre ne parle-t-il pas d’une  bûcheronne qui rêve d’avoir un
enfant et en reçoit un, un jour comme tombé du ciel,un bébé
enveloppé dans un châle, une marchandise jetée hors d’un train
traversant la forêt ?
 Assurément c’est un conte, une histoire
inimaginable, inventée par un romancierMais le dernier chapitre
s’intitule :Appendice pour amateurs d’histoires vraiesL’auteur y
énumère
 des numéros de convois, chiffres, dates, noms, prénoms,
celui de son père, celui de son grand-père… et ce conteque le
lecteur a bien évidemment lu de bout en bout comme une histoire
vraie, abandonne le ton si poignant du roman à la fois
intemporel,poétique et terrifiant, pour celui du constat. Après avoir
alterné les passages dans la forêt et ceux dans les campsaprès avoir
raconté l’histoire avec poésie, tendresse et frayeurJean-Claude
Grumberg nous laisse face à la vérité la plus crue, celle qui pose la
question de l’inhumain chez l’humain.
Véronique Olmi est romancière et auteure de pièces de théâtre. Son
roman Bakhita (Albin Michel, 2017) a été finaliste du prix Goncourt
et a remporté le prix du roman Fnac. Dernier livre paru : Les évasions
particulières
 (Albin Michel, 2020)

La plus précieuse des marchandises
de Jean-Claude Grumberg (Seuil)
par Véronique Olmi