#Lecturesconfinement : Bartleby et compagnie d’Enrique Vila-Matas par David Rochefort

Bartleby et compagnie d’Enrique Vila-
Matas, est un grand roman sur la
littérature, sur l’amour des livres, et sur
ce que la littérature fait à la vie.
Dans sa jeunesse, le narrateur avait
publié un roman sur l’impossibilité de
l’amour. Puis il avait cessé d’écrire.
Pourtant, vingt-cinq ans plus tard, le
voilà qui se lance dans une « promenade
à travers le labyrinthe de la Négation »,
prenant des notes sur ces auteurs qui
ont renoncé à la littérature après un
seul livre, qui sont devenus fous, qui ont
estimé qu’écrire leur était devenu impossible, qui ont perdu
l’inspiration, qui se sont trouvés trop heureux ou trop malheureux
pour poursuivre leur œuvre. Bref, tous ceux qui, d’une façon ou
d’une autre, furent frappés du « syndrome de Bartleby » – le
personnage de Melville qui répétait inlassablement : « I would prefer
not to »
.
Livre érudit sans jamais être ennuyeux, on y croise les figures de
Tolstoï (qui en vint à considérer la littérature comme une
malédiction), de Salinger (qui se coupe du monde et cesse d’écrire)
ou de Pynchon (qui se coupe du monde pour continuer à écrire). On
y retrouve également Rimbaud et Pessoa, Walser et Kafka,
Maupassant et Wilde. Melville lui-même, le père de Bartleby,
deviendra inspecteur des douanes et n’écrira guère plus au cours
des trente dernières années de sa vie.
Le roman de Vila-Matas est plein de ces textes jamais rédigés, de
cette « littérature du refus ». Peut-être est-ce justement dans cette
confrérie des « écrivains négatifs » que l’on trouvera les derniers à
prendre la littérature au sérieux.
David Rochefort est écrivain. Dernier livre paru : Nous qui restons
vivants 
(Gallimard)

Bartleby et compagnie
d’Enrique Vila-Matas (Christian Bourgois) par David Rochefort

#Lecturesconfinement : L’Empreinte d’Alexandria Marazano-Lesnevich par Marianne Jaeglé

Récit puis déconstruction d’un
fait divers, traversée d’une
histoire familiale qui résonne
avec celle d’un meurtrier, mise en
évidence de la manière dont nous
fabriquons le réel par la
compréhension que nous en
avons, l’Empreinte est un texte
puissamment nouveau et original.


« Il s’agit d’un livre sur ce qui s’est
produit, mais aussi d’un livre sur ce
que nous faisons de ce qui s’est
produit. Il parle d’un meurtrier, il
parle de ma famille, il parle d’autres familles dont les vies ont été
bouleversées par le meurtre. Mais plus que ça, bien plus que ça, il s’agit
d’un livre sur la façon dont nous comprenons nos vies, le passé, sur la
façon dont nous nous comprenons les uns les autres. Pour y parvenir,
nous créons tous des histoires. » Alexandria Marazano-Lesnevich

L’auteure y démontre une maîtrise éblouissante des procédés de
narration. Un livre qui donne envie de tout repenser, à commencer
par la façon dont nous nous racontons notre propre vie.

Marianne Jaeglé est écrivaine et formatrice en écriture. Elle a
notamment publié Vincent qu’on assassine(Gallimard)

L’Empreinte
d’Alexandria Marazano-Lesnevich (Sonatine)
par Marianne Jaeglé

#Lecturesconfinement : Le silence de mon père de Doan Bui par Thuân

A la suite d’un AVC qui rend son
père aphasique, une jeune
journaliste d’origine vietnamienne
décide de mener l’enquête pour
comprendre les secrets que celui-ci
garde à ses enfants au fil des
années. Brillant et sensible, Le
silence de mon père
 dévoile une
partie importante de l’histoire
moderne du Vietnam : la séparation
du Nord et du Sud, la chute de
Saïgon, la fuite des boat people, la
douloureuse réunification du pays…
J’étais tellement touchée par ce
roman autobiographique sous forme de polar de Doan Bui que je l’ai
traduit en vietnamien dans l’espoir que ce récit bien écrit, avec
beaucoup de finesse et d’humour, aiderait mes compatriotes à mieux
comprendre l’exil, et pourquoi pas, l’identité de la France.

Née au Vietnam,Thuân est traductrice et autrice de huit romans
dont Chinatown (Seuil, 2009) et un avril bien tranquille à Saïgon
(Riveneuve, 2017) interdit par la censure vietnamienne en 2015.
L’un deux vient de recevoir le prestigieux English PEN Translates
Award (2020).
 Dernier livre paru : Lettres à Mina (Riveneuve)

Le silence de mon père
de Doan Bui (L’Iconoclaste)
par Thuân

#Lecturesconfinement : Alamut de Vladimir Bartol par Myriam Mazouzi

Pour une autre approche du temps
présent, je recommande la lecture
de Alamut de Vladimir Bartol. Ce
roman épique multiplie les fausses
pistes et nous conduit à nous
interroger notamment sur
l’endoctrinement religieux. Loin
d’être ennuyeux, l’histoire que
déroule Bartol nous raconte les
aventures d’un jeune homme au
XIème siècle en Iran et comment la
manipulation des troupes sert
l’ambition délirante d’un seul.
Bartol évoque aussi le rôle des
femmes, essentiel pour mettre en place le piège.
Myriam Mazouzi est la directrice de l’Académie
de l’Opéra de Paris

Alamut
de Vladimir Bartol (Phébus)
par Myriam Mazouzi

#Lecturesconfinement : Prudence et Passion de Christine Jordis par Gérard de Cortanze

Dans Raisons et Sentiments, Jane Austen
opposait deux sœurs qui proposaient
deux regards sur la vie. La première,
Marianne, belle et vive, personnifiait les
dangers de l’audace et le goût des
extrêmes. La seconde, Elinor, plus sage,
moins séduisante, s’engageait dans une
voie plus prudente, choisissant la raison
contre l’émotion. Christine Jordis, en
romancière subtile, transpose cette
matière anglo-saxonne dans la France
d’aujourd’hui et pose une question: dans le tumulte et le tapage
ambiants, quel comportement adopter? Faut-il fuir, s’engager, se
replier su soi? Il y a plus d’un siècle, Jane Austen nous prodiguait une
leçon de vie, Christine Jordis la reprend à son compte et nous glisse
dans l’oreille: « Voulez-vous la vérité ou plaire à un monde qui
ment ? » Un livre pudique et nécessaire.

Gérard de Cortanze est écrivain, essayiste et dramaturge, auteur de
nombreux livres dont Assam (Albin Michel), prix Renaudot
2002. Dernier livre paru : Moi, Tina Modotti, heureuse parce que libre
(Albin Michel)


Pruden
ce et Passion de
 Christine Jordis (Albin Michel)
par Gérard de Cortanze

#Lecturesconfinement : Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf par Edouard Jousselin

Amis lecteurs, le temps est venu de
tuer le veau gras et d’armer les justes.

Pour guérir le confinement de
novembre, celui où le ciel est gris et la
nuit vient tôt, quoi de mieux que la
prose imagée et généreuse de Tristan
Egolf ? Quoi de mieux qu’un plongeon
dans une formidable entreprise
vengeresse ?

Le seigneur des porcheries raconte le
destin de John Kaltenbrunner,
prophète du Midwest, révolté contre
l’Amérique profonde, tout à la fois bigote, inculte et malveillante.
Cet évangile des bas-fonds est le remède idéal à la torpeur
automnale. À cette date, je n’ai pas lu de meilleur premier roman.

« John Kaltenbrunner était systématiquement le meilleur dans ce qu’il
faisait bien, mais pour tout le reste c’était un incapable et un je-m’en-
foutiste doublé d’un maladroit. De l’édification de son exploitation
agricole alors qu’il n’était qu’un enfant à sa brillante orchestration de la
crise quinze ans plus tard, la plus grande réussite de son existence fut
sans doute d’avoir trouvé le moyen de rester en vie toutes ces années. »
Edouard Jousselin est écrivain. Son premier roman, les cormorans est
paru en septembre 2020 aux éditions Rivages

Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf (Folio)
par Edouard Jousselin

 

#Lecturesconfinement : Les défricheurs du monde de Laurent Maréchaux par Laurent Pfaadt

Qui n’a jamais posé son doigt
sur un globe terrestre ou suivi
le cours d’une rivière ou d’une
frontière en se rêvant, enfant
ou dictateur, maître du monde? Voilà plusieurs
millénaires que représenter le
monde fascine les hommes
jusqu’à la jouissance, jusqu’à la
folie, jusqu’à l’absurde.
Pourquoi ? Pour mieux le
connaître ? Ou pour mieux se
connaître ? Telle est la grande
question des cartes. Le livre
de Laurent Maréchaux tente modestement d’apporter une réponse
à cette question qui court depuis que l’homme a entrepris de
découvrir ce qu’il ne connait pas. Pour des raisons différentes :
politique, économique comme Turgot, anthropologique ou
géopolitique. La carte devint ainsi l’instrument de cette quête du
territoire.

Ce magnifique livre retrace à merveille cette aventure sans fin,
même aujourd’hui alors que le regard de l’homme s’est simplement
orienté de quelques degrés, de l’horizon vers les étoiles. L’ouvrage
est ainsi à la fois une histoire des géographes et une histoire de
notre propre connaissance du monde. Des Grecs anciens et leur «
colosse de la géographie », Strabon, à Vidal de la Blache en passant
par Mercator, l’inventeur de notre carte, Eratosthène ou Humboldt,
la Terre se dessine progressivement sous nos yeux pour prendre
cette forme qu’elle a aujourd’hui, ronde (eh oui !) et si complexe.

Se promenant dans ce musée de cartes et sautant de jungles en
pôles, les lecteurs des Défricheurs du monde n’auront de cesse
d’arpenter, ici, ce « récit de la volonté de savoir et de comprendre »
selon les mots de Jean de Loisy, directeur des Beaux-Arts de Paris,
qui signe la préface de l’ouvrage. Un livre indispensable donc à tout
voyageur de mots et de cartes cherchant sans répit une réponse à la
grande question.

Les défricheurs du monde de Laurent Maréchaux (Cherche-Midi)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Pechkoff, le manchot magnifique de Guillemette de Sairigné par Sylvie Bermann

Pendant le confinement quand les
frontières sont fermées et que
vous ne pouvez plus prendre de
trains ou d’avions, vous pouvez
voyager dans le temps et l’espace
avec le Général Pechkoff, né russe
en 1884 à Nijinsky Novgorod sur
les bords de la Volga, mort français
en 1966 à Paris sur les bords de la
Seine après avoir mené une vie
héroïque, romanesque et
cosmopolite. Zinovi Pechkoff est
adopté par Maxime Gorki dont il
devient le fidèle secrétaire. Pour
échapper à l’incorporation dans les armées du Tsar au moment de la
guerre russo-japonaise de 1904, il commence une vie d’errance et
de petits métiers qui le mène en Finlande, en Angleterre, en Suède
puis au Canada. Il organise la tournée triomphale de Maxime Gorki à
New York et aux États-Unis. Après être passé par l’Australie et la
Nouvelle Zélande, il rejoint Gorki en 1907 dans son exil à Capri où il
côtoie Lénine. Engagé dans la légion étrangère pendant la première
guerre mondiale il perd un bras dans les tranchées. À la demande du
ministre des affaires étrangères, Aristide Briand, il retourne aux
États-Unis pour les convaincre avec succès d’entrer en guerre. Le
général Pechkoff est des derniers combats, en tant que conseiller
des armées blanches en Extrême-Orient, en Sibérie, dans l’Oural et
le Caucase jusqu’à la Crimée. Il est présent ensuite au Maroc
pendant la guerre du Rif, en Syrie, au Liban, en Afrique du Sud, ainsi
qu’à Madagascar. On le retrouve en Chine à Chongqing comme
délégué de la France libre et ambassadeur du général de Gaulle
auprès de Tchang Kaï-chek puis au Japon où il se lie d’amitié avec le
général Mac Arthur. Le général-ambassadeur, légionnaire dans
l’âme, a croisé les personnalités politiques de son temps mais aussi
les écrivains et les musiciens, le prix Nobel Ivan Bounine et le grand
Chaliapine. Il fut lui-même un temps acteur au théâtre d’art de
Moscou dirigé par Stanislavsky. Un personnage hors norme,
séduisant et attachant. Un livre d’aventures, vraies et
passionnantes.

Sylvie Bermann est diplomate. Elle a notamment été ambassadrice de France en Chine, au Royaume-Uni et en Russie.

Pechkoff, le manchot magnifique de Guillemette de Sairigné (Allard Éditions)
par Sylvie Bermann 

#Lecturesconfinement : Miarka d’Antoine de Meaux par Laurent Pfaadt

On serait tenté de voir en Miarka
une autre Simone Veil, celle de la
Résistance. Mais Miarka, de son
véritable nom Denise Vernay, fut
tellement plus que cela, tellement
plus que l’ombre d’un mythe
républicain. Celle qui partagea
avec son illustre cadette, le même
sang et cette même douleur qui
coula dans les pays Baltes et à
Auschwitz où périrent leurs
parents et leur frère, fut une
résistante, et quelle résistante.
Agent de liaison pour le
mouvement Franc-Tireur dans la région lyonnaise et en Savoie, elle
fut arrêtée, torturée puis déportée à Ravensbrück et Mauthausen.

Le grand mérite d’Antoine de Meaux est ainsi d’avoir singularisé
cette femme digne, empathique, courageuse, altruiste et d’avoir
immortalisé sa modestie en même temps que sa grande force de
caractère qui, à bien des égards, lui a permis de survivre. Avec ses
magnifiques mots parfaitement choisis comme on sculpte un
mausolée de marbre, l’écrivain n’omet rien : l’enfance avec André, ce
père tiré d’un roman de Joseph Roth, « épris de la beauté du monde
qui avançait sur le fil de la vie comme un funambule »,
l’antisémitisme, les horreurs de la guerre et cette sinistre prison de
Montluc, puis la déportation, celle qu’elle vécut mais également celle
que l’on suit avec angoisse à l’autre bout de la France et de l’Europe,
de Simone et de ses parents. Il y a cette injustice qu’elle combattit
toujours quel que soit l’oppresseur comme lorsqu’elle se substitua
aux « lapins », ces femmes mutilées, victimes d’expériences
médicales à Ravensbrück mais également les joies retrouvées de
l’après-guerre, le compagnonnage avec Germaine Tillion,
l’éloignement avec Milou, l’aînée. Grâce à l’abondante
correspondance confiée par la famille Veil/Vernay, Antoine de
Meaux nous fait entrer dans la tête de son héroïne, dans son esprit
et surtout dans le cœur de cette femme qu’il a si bien connu.

Chez les scouts, Denise et Simone étaient éclaireuses. Elles le
restèrent, chacune à leur manière, toute leur vie. Aujourd’hui, au
Panthéon dorment Simone Veil et Germaine Tillion. Un jour, une
anonyme y abandonnera un exemplaire du livre d’Antoine de Meaux.
Une anonyme au Panthéon. Telle fut la destinée de Miarka.

Miarka d’Antoine de Meaux (Phébus)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Le dépaysement de Jean-Christophe Bailly par Olivier Bleys

Qu’est-ce qu’un bon livre de
géographie ? C’est, joli paradoxe, un
livre qui donne envie de le refermer. 

Non par lassitude ou par désintérêt,
mais pour lacer ses chaussures et
mettre ses pas dans ceux de Jean-
Christophe Bailly. 

Ce grand lecteur du paysage et des
hommes sait rendre comme
personne l’intimité d’un territoire.

Il décrit la France tantôt d’en haut,
tantôt d’en bas, dans l’ensemble et dans le détail, comme s’il adoptait
les points de vue alternés de l’oiseau et du mille-pattes. 

Dans une langue admirable, riche et secrète comme une source en
forêt, l’écrivain nous abreuve de ses voyages, de ses lectures, de ses
méditations.
À lire et à relire jusqu’à plus soif.

 
Olivier Bleys, écrivain – marcheur, poursuit un tour du monde à pied par étapes qui vient d’atteindre Moscou.

Il vient de publier La leçon du brin d’herbe aux éditions de la
Salamandre

Le dépaysement de Jean-Christophe Bailly (Seuil)
par Olivier Bleys